top of page

Pays pauvres, paradis d'essais cliniques

  • Photo du rédacteur: Aissata Sylla
    Aissata Sylla
  • 3 avr. 2020
  • 5 min de lecture


Le 1er avril 2020, un échange entre le Dr Jean - Paul Mira et Camille Locht, le directeur de recherche à l'INSERM (organisme français de recherche médicale) a créé une polémique dans les communautés africaines. Le sujet de leur conversation: les essais à effectuer sur un potentiel vaccin contre le COVID 2019. Dans la vidéo, Le Dr Jean Paul Mira dit précisément: "Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique où il n’y pas de traitement, pas de masques, pas de réanimation. un peu comme c’était fait d’ailleurs pour certaines études sur le sida où on essaie des choses sur les prostituées car on sait qu’elles ne se protègent pas".


Instantanément, les internautes ont crié au scandale, et avec raison. Les dénonciations sur les réseaux sociaux tournaient toutes autour d'un message commun: "Comment peut- on entendre ce genre de choses en 2020? Les Africains ne seront pas vos cobayes, nous ne sommes plus au temps du commerce triangulaire. L'Afrique n'est pas la prostituée de la France ". Dans certains cas, les émotions étaient tellement fortes que les insultes prenaient le dessus. Comme la majorité des cycles d'indignation de nos jours, le choc, la surprise et la colère étaient au centre des publications sur les réseaux sociaux, mais la mise en contexte, la recherche d'information et la réflexion sur de potentielles solutions sont trop souvent absents des débats.


Aussi aberrants que puissent être les propos de Jean - Paul Mira et Camille Locht, ils ne font que mettre en lumière une problématique qui dépasse le contexte du COVID - 19, et qui va au delà les frontières du continent africain. Réfléchir à des solutions et éviter que cette indignation ne soit qu'un "bad buzz" passager exige donc que nous nous armions de savoir pour une compréhension du problème dans son entièreté.


À défaut d'avoir des idées de solutions révolutionnaires, concrètes et réalisables, assurons nous déjà de diriger notre colère et nos dénonciations vers le vrai problème. Pour cela, regardons de plus près le fonctionnement des recherches biomédicales.


Pour sortir tout médicament, les laboratoires ont l'obligation de les tester sur plus de 4000 personnes, ce qui représente jusqu'à 40% des coûts de production du médicament.


Aujourd'hui, selon un rapport de l'organisme Public Eye, environ 40% des essais de médicaments sont effectués dans les pays en développement. Vous remarquerez que nous parlons de pays en développement, et pas du continent africain en particulier. En effet, ces essais de médicaments touchent massivement des pays tels que l'Egypte et l'Afrique du Sud, mais aussi d'autres parties du monde incluant l'Inde et certains pays de l'Europe de l'Est.


Les essais de médicaments dans les pays en développement datent des années 80. A l'époque, les laboratoires limitaient ces essais aux médicaments qui soignaient les maladies tropicales. Cependant, au fil des années, la population occidentale est devenue de plus en plus réticente envers ces essais. Certaines statistiques montrent que moins de 5% des américains acceptent de prendre part à ce genre d'essais et un seul essai clinique sur 5 réussit à recruter suffisamment de personnes. Dans l'espoir de maximiser le nombre de participants aux essais et de minimiser les coûts de production (#capitalisme), les laboratoires se sont retrouvés à délocaliser de plus en plus les essais de médicaments. Un essai de médicament en Afrique peut coûter jusqu'à 10 fois moins cher qu'en occident. De ce fait, le nombre d'essais effectués dans les pays en développement ne cesse d'augmenter, et la nature des essais change. Depuis le début des années 2000, 60% des essais de médicaments effectués dans les pays en développement sont pour des maladies chroniques qui touchent massivement les populations occidentales (diabète, cancer, maladies cardio vasculaires occidentales).


Au delà des aspects liés au coût, les populations des pays en développement représentent des cibles parfaites, où le recrutement pour ces essais médicaux se fait en des temps records. Les systèmes de santé défaillants de ces pays, les faibles revenus des patients, et leur faible niveau d'éducation leur donnent le niveau de vulnérabilité idéal pour les laboratoires pharmaceutiques. Ces essais sont donc vus comme le seul espoir de guérison pour ces populations.


Cependant, l'ordre de priorité des institutions gouvernementales de ces pays en développement ouvre la porte à plusieurs transgressions éthiques et même scientifiques. En effet, les laboratoires pharmaceutiques arrivent dans les pays en développement en promettant de créer de nouveaux emplois, de générer des revenus fiscaux et d'apporter des solutions aux défis médicaux de la population. Les hauts fonctionnaires ayant pour objectif d'augmenter les revenus de l'état ainsi que leurs revenus personnels (#corruption) ouvrent donc les portes de leurs pays à ces grands laboratoires pharmaceutiques.


À cet ordre de priorité contestable, s'ajoute un grand manque de rigueur, qui permet à certains essais d'avoir lieu sans que les participants soient au courant de la nature expérimentale de leur traitement, du risque d'effets secondaires négatifs ou de leurs droits en tant que participants à un essai. Dans certains cas, jusqu’à 80 % des participants ignorent qu’ils sont libres d’abandonner l'essai. Scientifiquement, les laboratoires se permettent aussi quelques légèretés telles que des périodes d'expérimentations de plus en plus courtes et des risques d'effets secondaires de moins en moins contrôlés.


Au moment de la commercialisation de ces médicaments, les organismes de régulation occidentaux exercent une surveillance minime sur les procédures et les conditions dans lesquelles ces produits ont été testés.


Pour couronner le tout, ces populations vulnérables ne sont souvent pas en mesure de profiter des avancées médicales qu'elles ont testées. Vous serez surpris (ou pas) de savoir que ces médicaments sont rarement commercialisés dans les pays où ils ont été testés. Lorsqu'ils le sont, leurs prix sont tellement exorbitants que le citoyen moyen n'y a pas accès. En Egypte en Inde ou en Amérique Latine, seules six molécules testées sur dix sont commercialisées.


Ces pratiques irresponsables ont mené à plusieurs scandales, incluant l'exemple des prostituées, cité par Jean - Paul Mira sur LCI. En effet, des essais de traitements antiviraux effectués par une ONG américaine sur des prostitués vivant au Cameroun en 2005, avaient été dénoncés pour le non respect des normes éthiques de la recherche bio médicale. L'élan d'audace qui a poussé Jean Paul Mira à utiliser un exemple aussi scandaleux va au delà de mon entendement, mais s'y attarder serait une distraction.


Le vrai problème est beaucoup plus grand et multi-dimensionnel. Avant tout, au cas où ce ne serait pas clair, j'ai le regret de vous annoncer que Le continent africain est déjà "la prostitué des pays occidentaux". Excusez mon language, je ne fais que reprendre l'expression phare du moment. Proposer des essais de vaccins du COVID-19 en Afrique n'a absolument rien de provoquant ou de révolutionnaire. Oui, il y a de quoi être outré, fâché, en colère. Mais il faut être capable de dépasser les émotions et prendre des actions concrètes qui peuvent ressembler à :

  • Sensibiliser votre entourage à analyser de manière critique les traitements / vaccins conseillés par les médecins car ceux ci ne sont pas toujours inoffensifs

  • À tous les créateurs de contenu: utiliser vos différents canaux de communications pour sensibiliser les populations sur leurs droits en matière d'essais médicaux. L'histoire a prouvé que les canaux culturels sont souvent les plus efficaces pour sensibiliser le grand public.

  • Se renseigner sur les organismes qui font la promotion de la bioéthique dans les pays en développement et sur les possibilités de contribution à leurs causes


En parallèle, il faut aussi continuer de réfléchir collectivement à comment contribuer à l'amélioration de la situation économique de nos pays, l'accès à l'éducation pour nos populations mais surtout à l’émergence de leaders politiques pour qui le bien être de la population aura une place plus importante.


Je vous invite tous à partager vos idées de solutions, d'actions à mener, ou d'organismes à contacter. Vous serez surpris de voir qu'une réflexion collective sur des sujets pertinents peut nous mener beaucoup plus loin qu'une plainte collective et passagère.


Sources:


 
 
 

Comments

Rated 0 out of 5 stars.
No ratings yet

Add a rating

©2018 by Korofolie. Proudly created with Wix.com

bottom of page